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Atelier Contemporain
-
Pierre Bonnard. Le feu des solitudes charnelles
Yannick Haenel
- L'Atelier Contemporain
- 18 Octobre 2024
- 9782850351600
Récit d'une fascination et exploration d'une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S'immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d'un oeil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l'auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l'écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
« C'était le printemps et je regardais des Bonnard. Je contemplais ses nus chaque jour sur des catalogues, des monographies, des cartes postales ; j'allais chercher sur Internet d'autres nus - des nus que je ne connaissais pas - pour les imprimer et les avoir avec moi. »
Circulant de tableau en tableau, Yannick Haenel restitue l'intensité de sa passion avec la générosité du peintre : « [...] Nu au gant bleu, Nu devant la cheminée, Nu rose tête ombrée : je me récitais ces titres comme les vers d'un poème qui me promettait son érotisme clair, sa limpidité classique. » Du bain d'où émerge Marthe, du miroitement affolant des couleurs, s'élaborent des pensées qui cherchent à comprendre et à embrasser le « feu » nourri par chaque toile pour en rejoindre la source.
Interrogeant cette emprise, cherchant à situer le lieu du désir dans des bouquets de couleurs, à en identifier la puissance, celle-ci se découvre non comme l'appétit d'un « oeil en rut » mais comme la « provision d'étincelles » qui comble en nous « une soif de lumière ».
Chez Bonnard, nulle appropriation du modèle pour en faire le jouet de l'éros, au contraire : ce don ultime qui est celui de l'amour. Et lorsque l'écriture suit cette courbe flamboyante au coeur des métamorphoses, alors le geste pictural se poursuit, le récit devient celui de la peinture elle-même : « Les instants ont trouvé leurs couleurs, et notre regard, en prenant la suite de Bonnard, les rafraîchit. Nous continuons la peinture en écrivant sur elle. » -
Avant de rencontrer « l'ange terrifiant » des Élégies de Duino, achevées en 1922, Rainer Maria Rilke avait croisé le regard énigmatique des anges qui peuplent la peinture italienne, regard faisant signe vers « le paysage qui brille derrière eux comme une âme qu'ils possèdent en commun ». Des deux Lettres de Munich sur l'art en 1897 aux Lettres sur Cézanne en 1907, le poète de langue allemande a éprouvé sa prose au contact des arts visuels, à travers une vingtaine d'études, toutes recueillies dans cette édition, comprenant sept inédits en français. Au cours de cette décennie formatrice, il porta attention tant aux artistes du passé, comme Léonard de Vinci, Fra Bartolomeo, ou Marco Basaiti, qu'aux artistes de son temps, comme Auguste Rodin et Paul Cézanne, mais aussi Heinrich Vogeler et Otto Modersohn, ou, quoiqu'il ne leur consacra directement aucune étude, Clara Westhoff et Paula Modersohn-Becker, qu'il rencontra au sein de la communauté de Worpswede. Écrire sur les arts, il le dit souvent, c'est avant tout chercher à « ne pas juger ». Être juste, c'est retrouver dans chaque oeuvre l'étrangeté fascinante de chaque existence singulière, par-delà raisons et fins. « C'est ainsi que doivent être vues les oeuvres d'art : comme de vastes paysages solitaires aux ciels en hautes voûtes, comme de grands arbres sombres, comme des mers s'étendant calmement dans le soir, comme des maisons au loin dans des plaines, comme de beaux enfants qui dorment ou de jeunes animaux qui tètent, comme mille choses de cette vie éternelle et intemporelle que le jour ignore et que l'heure affairée laisse de côté. » Dans cette façon étrange qu'ils peuvent avoir de renouer avec la vie cosmique, les arts ont, pour le jeune Rainer Maria Rilke, une portée prophétique, voire messianique. Ils annoncent une vie « qui ne peut pas encore être vécue aujourd'hui », une vie à venir, une vie nouvelle. En attendant, il reste à faire l'effort, chaque fois, de s'ouvrir à ce qu'on voit, de se défaire du sentiment de peur devant ce qu'on ne comprend pas. « Nous aurons à nous arrêter souvent devant l'inconnu », dit-il.
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La, il y aura oracle : Pour André Masson
Bernard Noël
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Avril 2024
- 9782850351501
L'art fut une source inépuisable de réflexion et d'écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L'oeuvre d'André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu'il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses onze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L'Atelier contemporain réalise là un projet d'édition que l'auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n'avait pu voir le jour. Noël considère Masson comme «?un peintre majeur du XXe siècle?» et «?l'un des très grands dessinateurs de notre temps?». Grièvement blessé lors de la Grande Guerre, l'artiste crée dans une urgence vitale pour exprimer son tumulte intime. Bernard Noël compare le geste automatique d'André Masson à un «?sismographe de pulsions internes?». Mais cette spontanéité a la particularité d'être nourrie d'une intense recherche intellectuelle. Le peintre entretient ainsi en lui «?un court-circuit constant entre la culture avec ses éclaircies et l'animalité profonde avec ses pulsions obscures. Son graphisme est en quelque sorte l'éclair électrique - la décharge - résultant de ces commotions entretenues et provoquées.?». C'est ce que Noël appelle «?la main-cerveau?» de Masson?; elle combine corps organique et corps culturel en réussissant à «?rétablir l'origine de la pensée dans la chair?», une démarche qui le touche car elle rejoint la sienne en tant qu'écrivain. Son admiration pour l'artiste s'augmente de ce qu'il fut l'ami de Georges Bataille qui lui est cher. Il consacre d'ailleurs un texte au lien entre ces deux êtres excessifs qui voulaient chacun franchir les limites de leur art en engageant «?tout ce qu'ils savent vers ce qu'ils ne savent pas?». Étonnamment, Bernard Noël n'a jamais rencontré André Masson mais par le travail verbal, il parvient à capter son énergie à la fois tellurique et pensive, si bien que Guite et Diego Masson lui écrivent, à propos de l'un de ses textes?: «?Vous nous faites retrouver l'homme avec une réalité fulgurante.?»
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Une histoire de l'art d'après Auschwitz : Volume 2. Figures disparues
Paul Bernard-Nouraud
- Atelier Contemporain
- Essais Sur L'art
- 18 Octobre 2024
- 9782850351587
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine héritées de la Renaissance? Dans quelle mesure cette rupture s'est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d'y passer en partie inaperçue? L'art contemporain est-il un art qui se situe simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art d'après l'événement?
Telles sont quelques-unes des questions qui donnent à cette Histoire de l'art d'après Auschwitz ses principales orientations. À bien des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l'art contemporain, cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l'art.
Le premier volume qui la compose entreprend ainsi de réévaluer à l'aune d'Auschwitz l'histoire de l'art antérieure à l'événement lui-même. On y découvre notamment qu'avec la peur du déluge et de la guerre, celle de la peste constitue l'un des fondements de l'art renaissant et de l'ordre du discernement qu'il instaure. En dépit des Figures disparates qui n'ont cessé pendant cinq siècles de perturber cet ordre, celui-ci ne céda véritablement qu'après Auschwitz, avec l'apparition massive de Figures disparues (vol. 2), lesquelles se sont progressivement dissipées dans l'art contemporain alors même qu'elles continuent d'en informer les Configurations (vol. 3).
Ce deuxième volume d'Une histoire de l'art d'après Auschwitz examine à présent comment de nouvelles formes artistiques se sont progressivement élaborées dans l'ombre proche de l'événement.
Après avoir rappelé combien les survivants eux-mêmes ont fait appel à des références artistiques pour tenter de discerner les ténèbres dans lesquelles ils avaient été plongés, il examine les fondements de cet art (chapitre 4) à partir du projet de destruction des corps qu'a entrepris le nazisme et de la disparition des figures à laquelle les artistes ont été confrontés dès la période d'Auschwitz.
Pour l'immense majorité d'entre eux, toutefois, l'image qu'ils ont pu se former d'Auschwitz s'est constituée à partir de celles, innombrables, que leur ont fournis les photographies des camps au moment de leur ouverture et dans les années qui ont suivi. À cet égard, la photographie a joué le rôle d'un véritable seuil permettant d'appréhender l'événement (chapitre 5).
Progressivement, toutefois, nombre d'artistes ont opéré à partir de ces images-sources un véritable départ afin de concevoir d'autres formes artistiques (chapitre 6). Ces départs ont pris, notamment en France, avec Francis Gruber, Pablo Picasso ou Jean Fautrier, une forme figurale, où la figure humaine paraît menacée de disparaître. Leurs homologues états-uniens (Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman) ont quant à eux opté pour des départs radicalement abstraits, quoiqu'une certaine échelle humaine persiste sous leurs compositions.
Cette persistance se retrouve sous diverses formes chez des artistes aussi différents qu'Alberto Giacometti, Francis Bacon ou Zoran MuSic, notamment dans des figures que tous trois représentent en marche, comme si ces marches indiquaient en elles-mêmes l'éloignement progressif de l'art vis-à-vis d'Auschwitz (chapitre 7). C'est qu'en réalité, dans l'ombre portée cette fois de l'événement, il ne s'agit plus de discerner les ténèbres, mais bien de les répartir. Cette répartition, et les voies par lesquelles elle s'est effectuée dans l'art postérieur, seront l'objet de Configurations, le troisième et dernier volume de cette Histoire de l'art d'après Auschwitz. -
Figures disparates Tome 1 : histoire de l'art d'après Auschwitz
Paul Bernard-Nouraud
- Atelier Contemporain
- 19 Avril 2024
- 9782850351426
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine?? Dans quelle mesure cette rupture s'est-elle logée dans la modernité au point d'y passer en partie inaperçue?? L'art contemporain est-il simplement un art après Auschwitz ou bien, de manière plus complexe, un art d'après l'événement?? Telles sont quelques-unes des questions qui donnent leur orientation à cette Histoire de l'art d'après Auschwitz. Le premier volume, qui paraît présentement, s'intitule Figures disparates. Il sera suivi par deux autres?: Figures disparues et Configurations. À bien des égards, cette vaste étude se veut aussi une contre-histoire de l'art, une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l'art contemporain. Ce premier volume, Figures disparates remonte aux sources de ce paradigme forgé à la Renaissance qu'on définit comme celui d'une esthétique du discernement, lequel implique tout un système de représentation théorico-pratique. Le premier chapitre retrace en ce sens la fondation des «?Figures discernables?» à partir du retour des ombres portées dans la Florence du début du XVe siècle avec Masaccio. Alberti, son contemporain, formalise ce système dans son De Pictura à la même période en y promouvant l'idée selon laquelle un tableau représente l'historia. Tout le discours sur l'art postérieur à Alberti entérine cette idée et la renforce philosophiquement en considérant que l'oeuvre obéit à une idea qu'elle révèle. Cette façon d'investir l'oeuvre d'une fonction de discernement de l'histoire et de l'idée en implique une autre, plus tacite mais déterminante, tant sur le plan artistique que politique?: celle de discerner la peur. À contre-courant de cette tendance majoritaire, un certain nombre de figures apparaissent néanmoins comme disparates, comme le suggère le deuxième chapitre. Elles tentent de rendre compte de trois grandes peurs - celles de la décréation, du désordre et du désastre - auxquelles correspondent trois phénomènes archétypiques - le déluge, la peste et la guerre. Dans chaque cas, on assiste à un antagonisme entre ces événements et leur réintégration dans l'orbe de l'esthétique du discernement. C'est cette tension qui produit historiquement des figures disparates, dont Francisco Goya serait le grand pourvoyeur. Il est aussi celui qui prépare le terrain à des figures d'un autre type, qui ressortissent quant à elles à l'époque moderniste proprement dite, du milieu du XIXe siècle au milieu du siècle dernier. Ces figures sont qualifiées de critiques dans le troisième chapitre. En elles se manifeste effectivement une tendance autoréflexive qui fait qu'elles se transforment en apparence sous l'effet de l'art pour l'art. Toutefois, à y regarder de plus près là encore, nombre d'entre elles évoquent plus ou moins explicitement la guerre, ou à tout le moins le contexte historique de plus en plus belliqueux dans lequel elles s'inscrivent (Guerre civile états-unienne, Première Guerre mondiale, ou Guerre d'Espagne).
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Francis Bacon, Joan Miró, Antoni Tàpies, Pierre Alechinsky, Jean Degottex, Jannis Kounellis, Kiki Smith, Nalini Malani, Nicola De Maria, Wolfgang Laib, Jaume Plensa, Juan Uslé, Sean Scully, Fabienne Verdier, David Hockney, Konrad Klapheck, Etel Adnan, Richard Tuttle, Christine Safa, ces artistes, si différents les uns des autres n'ont peut-être pas pour seul point commun d'avoir exposé dans la même galerie. Jean Frémon suggère qu'ils partagent cette qualité rare qu'est la probité. Qu'est-ce au juste que la probité ? Nul ne le sait. Mais chacun l'entend dans la phrase de Jean Genet, chacun la voit dans les yeux de Rembrandt, inexplicable mais sûre d'elle-même.
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«?Les oubliées, chaque fois renaissantes?»... Les oubliées, ce sont les herbes, les herbes sauvages des prairies comme les mauvaises herbes des terrains vagues. D'un côté, l'écrivain Gilles Clément cherche à décentrer le regard, à le faire descendre des «?hautes cimes?» pour le porter vers les herbes emmêlées, pour qu'?«?un autre monde vienne à nou? ». D'un autre côté, le photographe Stéphane Spach propose des vues vertigineuses de ces herbes qu'il recueille, brouillant l'échelle de ces troublants buissonnements. Tous deux ensemble renversent l'opposition entre l'infime et l'infini, pour nous laisser pressentir la forêt en dormance sous nos pas, sans cesse menacée, sans cesse renaissante.
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Art brut et créateurs d'art brut
Jean Dubuffet
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 20 Octobre 2023
- 9782850351327
L'Art Brut est « farouche et furtif comme une biche », écrivait Jean Dubuffet, au contraire de « l'art coutumier », dont on parle le plus souvent quand on parle d'art, qu'il soit classique, romantique, baroque, moderne... Le second est du côté de l'empaillé, de l'ordonné. Le premier est du côté du sauvage, de l'insaisissable. Il est difficile cependant d'en dire plus de l'Art Brut, sans « le tuer presque ». Pour qu'il ne se retrouve pas à son tour pris dans l'étau des normes culturelles imposée par l'élite sociale, Jean Dubuffet voulait inventer une manière de ne pas définir l'Art Brut. Il insiste sur cela dès 1947, avec son sens de la provocation : « Formuler ce qu'il est cet Art Brut, sûr que ce n'est pas mon affaire. Définir une chose - or déjà l'isoler - c'est l'abîmer beaucoup. C'est la tuer presque». Les façons de ne pas définir l'Art Brut, pour Dubuffet, sont nombreuses, prolixes, parfois contradictoires, de façon revendiquée. C'est ce que le présent volume donne à comprendre, rassemblant l'ensemble de ses écrits sur la question, de 1945 et 1985. Réflexions pour la Compagnie de l'Art Brut qu'il fonde en 1948 à Paris, lettres à André Bretons, aux personnalités du monde psychiatrique Jean Oury ou Jacqueline Porret-Forel, mais aussi hommages aux oeuvres de Paul End, Clément, Joseph Heu, Berthe U, Aloïse, Laure- : multiples sont les directions de sa pensée, qui se veut toujours ouverte. Si l'on ne peut affirmer ce qu'est l'Art Brut, il reste qu'on peut se mouvoir théoriquement sur les traces d'une pluralité de pratiques. « N'importe quelle affirmation, si on la maintient sur un long parcours, se change en absurdité. Je crois que la pensée n'obtient de fruits utilisables qu'en se constituant en circulation plurielle, par étages qui se superposent, comme le sens des voitures sur les voies étagées de Tokyo », disait encore Dubuffet. C'est bien de cette manière non univoque qu'il envisage l'Art Brut, comme les voies rapides qui traversent une métropole, se croisent, bifurquent, spiralent, portant attention au flux incessant de lueurs dans la nuit et à chaque « déchaînement d'ingéniosité et d'innovation » dans sa singularité.
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« Cette série s'inscrit dans le prolongement du projet Erdgeist, démarche née de la fréquentation de paysages dont l'intensité croît avec la latitude. Ces paysages, marqués par l'absolu et la transcendance, me portent à interroger leur mystérieuse soumission aux puissances invisibles, me référant à la culture chinoise, à la notion de vide et de plein chère à François Cheng, et au lien du pinceau et de l'encre. Je me propose ici de rendre l'immatériel contenu dans le tangible, de livrer un espace muet et originel que la thématique de l'hiver, devenue pour moi objet de culte, exprime métaphoriquement. L'irruption de l'hiver au-delà du cercle arctique avec sa puissance hostile offre à l'artiste l'opportunité d'une quête du sacré. Le dépouillement de cette saison, ses formes vouées à l'effacement, nous invite à méditer sur l'infime, le vide, le silence, à appréhender le monde réel tapi dans son invisibilité. Les sensations y rejouent perpétuellement la création du monde. » Patrick Bogner
« Des paysages du Grand Nord, les images de Patrick Bogner montrent de singulières façons d'apparaître, les figures étranges qu'y dessinent l'eau, la neige, la glace, les reliefs, les ciels, agencements souvent insolites que ponctuent parfois quelques signes des rares survivances végétales et animales que ces rudes contrées abritent ou qui les parcourent. C'est la part documentaire, incontestable, de ses photographies. Mais le regard qui s'attarde découvre très vite en elles bien d'autres choses, qui débordent toute intention didactique. Des sortes d'invocations. [...] Les images de Patrick Bogner invoquent parce qu'elles laissent se dire en elles ce que serait une relation, assumée malgré ce qui la rend peut-être impossible, avec l'indompté. Les hivers qu'elles détaillent sont des silences sans commencements ni fins, les mouvements s'y sont figés, les courses y ont durci aussitôt esquissées. L'oeil s'aventure dans des étendues que l'on n'aborde qu'en s'en protégeant, contrées farouches dans lesquelles s'égarer aurait pour seule issue la mort. Il y découvre une version de l'inhabitable : sol et air transis dans une durée immuable, sans passé ni avenir, terres inexorablement dépeuplées parce que saisies dans un présent perpétuel que rien n'interrompt. [...] Dans le Grand Nord, Patrick Bogner invoque des énigmes : signatures indéchiffrables, traces d'on ne sait quoi, d'on ne sait qui, qui rythment la peau infinie, uniforme, intraitable de la neige. [...] Il invite la photographie à devenir le support d'une méditation de l'insaisissable. [...] Le geste photographique est d'abord une attente. L'oeil ne prend pas, il se tend, concentré, vers les lieux et les instants où quelque événement pourrait surgir de l'insondable, où l'indompté pourrait soudain faire don d'une partie de sa secrète abondance. [...] Les Hivernies sont des lieux et des instants d'écoute, d'attente et finalement de gratitude témoignée envers un infini apparemment vide et immensément silencieux, et d'où pourtant surgissent des choses et des visages, traces inépuisables de présents inexpliqués. » Daniel Payot, extraits de la préface -
Quand les Impressionnistes s'exposaient
Laurent Manoeuvre
- Atelier Contemporain
- 5 Avril 2024
- 9782850351518
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses oeuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot «?impressionnisme?». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l'une des étapes initiatrices de l'art moderne. Avec ces expositions, l'écosystème de l'art contemporain se met alors en place?: recherche du scandale, intervention monopolistique d'un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d'avant-garde. Cinquante-huit artistes ont participé aux huit expositions qui ont eu lieu entre 1874 et 1886. Parmi les plus connus des impressionnistes, seul Pissarro est présent à la totalité des expositions. Monet n'apparaît qu'à cinq, Renoir et Sisley à la moitié seulement. Manet, Whistler, Van Gogh ou Lautrec, dont les noms sont souvent associés à ce mouvement, n'ont jamais exposé avec les impressionnistes, contrairement à Forain, Seurat, Gauguin ou au symboliste Redon. L'accent est systématiquement mis sur la rupture picturale que constituent ces expositions. Pourtant, ces expositions présentent un large échantillon de techniques et de supports?: estampes, sculptures, projets de céramiques, éventails, dessins... Dans tous ces domaines, les impressionnistes expérimentent et se montrent novateurs. Quelques décennies avant le triomphe de l'Art nouveau, ils gomment les frontières entre beaux-arts et arts décoratifs. Degas sculpteur ouvre la voie à l'hyperréalisme. Les impressionnistes remettent aussi en question l'organisation du marché de l'art, cherchant à se promouvoir et à vendre directement leurs oeuvres. Ils lancent des campagnes de communication agressives, dont les méthodes «?de Barnum?» étaient jusqu'alors réservées aux spectacles populaires?: mâts publicitaires, drapeaux, affiches voyantes... Dans les salles d'exposition, tout est soigneusement organisé, du tissu qui couvre les murs, aux encadrements, sans oublier les banquettes et l'éclairage. Durand-Ruel, qui s'imposera comme le marchand des impressionnistes, développe, lui aussi, et non sans mal, une stratégie commerciale inédite. Pariant sur l'avenir, il tente de se réserver l'exclusivité de la production de ces artistes. Il part à la conquête d'un marché nord-américain ouvert à de nouvelles formes d'art. Lorsque Durand-Ruel meurt, en 1922, l'impressionnisme est mondialement consacré. Ces expositions se déroulent alors que la grande déflation frappe le marché de l'art. Les acheteurs devenant rares, les peintres officiels cherchent à éliminer toute concurrence. Ils bénéficient de l'appui d'une presse en pleine expansion. Tous les arguments sont bons pour discréditer les impressionnistes?: escrocs, aliénés mentaux, secte... Les rebelles bénéficient du soutien de quelques plumes?: Zola, Huysmans, Laforgue, Mallarmé, Fénéon... Mais ces voix n'ont alors que peu ou pas de prestige. Lorsque Zola connaît enfin le succès, il publie L'oeuvre, qui est ressenti par les impressionnistes à la manière d'une trahison. Plus que les attaques de la presse, ce sont l'opportunisme de certains membres et les rivalités internes qui minent le groupe. Le scandale a contribué à faire connaître les impressionnistes. De jeunes artistes de formation académique s'approprient leurs recettes. Profitant de cette évolution, Renoir, puis Sisley et Monet rejoignent le très officiel Salon. Au fil des expositions, deux tendances s'opposent chez les insurgés?: volonté de cohérence esthétique d'une part, ouverture à de nouvelles formes d'expression, d'autre part. Caillebotte, qui cherche à muséifier l'impressionnisme, incarne la première tendance. Degas et Pissarro, au contraire, invitent de jeunes artistes dont les expressions et les aspirations sont parfois différentes de celles des impressionnistes. Hétérogène, mais riche d'avenir, l'ultime exposition de 1886 ouvre la voie aux formes nouvelles d'expression (néo-impressionnisme, symbolisme) qui, jusqu'au début du vingtième siècle, se succéderont avec une extrême rapidité. Cet ouvrage s'appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de «?premières mains?» qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants... Aucune étude de ce type sur l'impressionnisme n'avait été réalisé, et ce livre constitue un apport de grande importance pour l'histoire de l'art et de sa médiation à l'aube du modernisme.
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Un sentiment qui tient le mur : notes et propos sur la peinture
Pierre Bonnard
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 20 Octobre 2023
- 9782850351303
Pierre Bonnard était un « poète fervent de la
vie brève, un célébrant du passage », comme le
dit Alain Lévêque, dans son introduction à cette
édition des écrits du peintre, réunissant ses notes et les entretiens qu'il donna à la presse. Pages d'agendas allant à l'essentiel en quelques mots, notes de carnets sous forme d'aphorismes dépouillés de grandiloquence, hommages à ses compagnons peintres, comme Maurice Denis, son ami du mouvement nabi, nommé selon le terme arabe qui signifie « ravi dans une extase », mais aussi Odilon Redon, Paul Signac ou Auguste Renoir : sa parole fut autant laconique que prolixe, ouvrant de multiples brèches pour consentir à « la vision brute », pour retrouver « une vision animale ». « Vous avez une petite note de charme, ne la négligez pas. Vous rencontrerez peut-être des peintres plus forts que vous, mais ce don est précieux. » Telles furent les paroles d'Auguste Renoir à Pierre Bonnard, alors jeune peintre inconnu, qui disent bien ce qui, dans la vision, dans les couleurs comme dans les formes, ne s'explique pas : cette « petite note de charme », précieuse, que le peintre n'a cessé de cultiver. Cela s'éclaire un peu, néanmoins, dans la définition que donne Bonnard du « peintre de sentiment », qu'il rêva d'être : « Cet artiste, on l'imagine passant beaucoup de temps à ne rien faire qu'à regarder autour de lui et en lui.
C'est un oiseau rare. » -
Manet ne cria pas, ne voulut pas s'enfler : il chercha dans un véritable marasme : rien ni personne ne pouvait l'aider. Dans cette recherche, seul un tourment impersonnel le guida. Ce tourment n'était pas celui du peintre isolément?: même les rieurs, sans le comprendre, attendaient ces figures qui les révulsaient mais qui plus tard empliraient ce vide qui s'ouvrait en eux. Manet, accoucheur «?impersonnel?» de l'art moderne?? Paru pour la première fois chez Skira en 1955, ce Manet-là - comme l'analyse utilement la préface de Françoise Cachin à la réédition de 1983 - est celui de Georges Bataille - et donc une oeuvre en prise directe sur les débats esthétiques de son temps, dont elle parle aussi le langage. C'est ce qui lui confère sa singularité impérissable, ainsi que sa portée historique. Le Manet de Bataille est presque un personnage. Personnage littéraire d'abord, ami des plus grands poètes et écrivains de son temps, Baudelaire, Zola, Mallarmé, qui tous lui ont écrit ou ont écrit sur lui. C'est à ces sources privilégiées que s'abreuve Bataille pour dépeindre un Manet déjà romanesque, quoique falot?: «?un homme du monde, à vrai dire en marge du monde, en un sens insignifiant?», «?au-dedans, rongé par une fièvre créatrice qui exigeait la poésie, au-dehors railleur et superficiel?», «?un homme entre autres en somme, mais charmant, vulgaire... à peine.?» Manet utilité, donc - mais en même temps nécessité de l'histoire de l'art, «?instrument de hasard d'une sorte de métamorphose?», homme par qui le scandale arrive bien malgré lui, initiateur innocent de la «?destruction du sujet?»?: «?c'est expressément à Manet que nous devons attribuer d'abord la naissance de cette peinture sans autre signification que l'art de peindre qu'est la «peinture moderne»... C'est de Manet que date le refus de «toute valeur étrangère à la peinture».?» C'est alors en continuateur des grandes exégèses de Valéry et surtout de Malraux que Bataille s'exprime. Là où il est tout entier lui-même, et inimitable, c'est dans les intuitions par lesquelles il traverse l'oeuvre du peintre comme la foudre, appuyant sa vision sur une sélection de tableaux qu'il légende avec brio. À supposer que ce Manet ne soit pas le vrai, il n'en possède pas moins sa valeur propre.
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L'appareil photographique a été conçu pour produire une image conforme aux normes figuratives issues de la Renaissance. Cette hérédité culturelle le rend en principe inapproprié à l'Art Brut, ce « déchaînement d'ingéniosité et d'innovation » qui fait dérailler les normes esthétiques, selon Jean Dubuffet. Cependant, les « photographes bruts » ont pour particularité de rater leurs clichés chacun à sa manière - et c'est un ratage réussi, qui met en évidence le fonctionnement de ce formatage culturel de nos images et, consécutivement, de notre perception. Ainsi l'« effet de réel », prioritairement imputable à la photographie, peut-il être perturbé par la folie, la maladresse, la perversion, la superstition, la cécité même. Telle est la contre perspective adoptée dans cet ouvrage sur une créativité séculaire, mais généralement anonyme, modeste, si ce n'est clandestine, récemment mise au jour en études photographiques.
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Le 8 février 1832, Ruskin reçoit pour son anniversaire un livre illustré par Turner. Le jeune garçon n'a que treize ans, mais la passion qui prend naissance ce jour-là ne s'éteindra jamais. Il en sortira un texte unique, flamboyant, proliférant, sans cesse repris, jamais achevé?: Modern Painters / Les peintres modernes. Entrepris pour défendre Turner contre ses détracteurs, poursuivi sur une période de dix-sept ans, il donne du peintre une image de plus en plus riche et complexe. Voici les parties les plus représentatives de ce chef-d'oeuvre du romantisme anglais, où Turner apparaît tour à tour comme un observateur scrupuleux de la nature, un poète et un prophète de la décadence du monde industriel. La lecture de Ruskin reste la voie royale pour accéder à la peinture de Turner. La méthode de Ruskin fait en effet une place de choix à la sensibilité, car montrer la supériorité de Turner comme chantre de la nature, c'est d'abord constater la consonnance entre ses tableaux et la vision de l'écrivain, telle qu'elle s'exprime dans les pages du journal et dans les textes descriptifs qui ont constitué une large part de la réputation de Ruskin. Ce n'est qu'ensuite que les références scientifiques viennent servir de caution à cette communion des sensibilités. En sens inverse, après avoir servi de modèle au dessinateur, Turner sert de norme au spectateur ; après avoir traduit ses émotions, il les canalise et offre une référence à son regard : d'un tableau de Turner on dira que «c'est la nature», et d'un spectacle naturel que «c'est un Turner». La vertu du regard de Ruskin, son acuité, est le reflet de la vertu de la main de Turner, son exactitude.Le critique et l'artiste concélèbrent l'office du visible. Les Peintres Modernes obéissent donc à un besoin de totalisation permanente - de connaissances toujours plus riches, d'une expérience jamais achevée - qui fait de Ruskin un «commentateur de l'infini». Et ce besoin prend une double forme : enseignement et prédication. À ce moment de sa carrière, Ruskin trouve dans son livre une estrade et une chaire. Par la suite, il montera pour de bon à la tribune donner les conférences qui seront les chapitres de ses livres futurs. C'est peut-être comme apologiste du regard que Ruskin a le plus à nous dire quand il nous parle de Turner. Écrire sur l'art, c'est d'abvord fair droit au regard?: «?voir clairement, c'est à la fois la poésie, la prophétie, la religion?».
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En dépit de l'absence de vestiges (les plus anciens tatouages conservés de corps momifiés datent de 3000 ans avant J.-C.), plusieurs indices semblent accréditer l'idée que l'homme a pris son propre corps pour premier support de la peinture. Malgré la richesse et l'extraordinaire variété des décorations corporelles dans toutes les sociétés dites «primitives», il est possible de déterminer certaines fonctions générales nettement distinctes?: Les peintures corporelles, qui ont un caractère éphémère, et qui sont associées à des fêtes, des cérémonies, des pratiques magiques. Elles nous font pénétrer dans le domaine du sacré, c'est-à-dire de la transgression rituelle des tabous. Aussi manifestent-elles des dispositions psychiques qui, dans la culture occidentale, sont réprimées ou affectées d'un caractère psychotique. Les marques les plus durables, par tatouage ou scarification, qui équivalent à une inscription sur le corps de l'ordre culturel de la communauté et de la situation sociale des individus. Avec l'invention de l'écriture et la constitution des États, l'inscription est transférée du corps des individus à une peau plus anonyme?: le parchemin. Le corps, pour être désormais intact, n'en est pas moins l'objet de retouches visant à l'assujettir à sa propre image: cosmétique, maquillage et opérations esthétiques de toute nature. La séduction joue sur la limite entre l'occultation et l'aveu de ces artifices. Cependant, la marque corporelle est délibérément assumée dans certains domaines marginaux?: le tatouage des forçats, des aventuriers, des prostituées, le maquillage des acteurs et des clowns, le grimage des enfants, etc. L'évolution de la. peinture moderne peut être interprétée comme la réactivation anti-illusionniste de l'épiderme de la toile. De fait, au terme de cette évolution, le corps est à nouveau assumé dans sa fonction de support originel de la peinture, notamment dans les mouvements du Body Art et du Transvestisme.
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Traverser l'invisible : énigmes figuratives de Francesca Woodman et Vivian Maier
Marion Grébert
- Atelier Contemporain
- 7 Octobre 2022
- 9782850350849
Cet ouvrage qui parcourt une longue histoire des figurations féminines s'organise autour d'un événement sans précédent, lorsque la naissance de la photographie permet à un certain nombre de femmes de s'emparer d'un médium grâce auquel elles peuvent enfin se représenter entre elles et elles-mêmes à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle.
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L'époque de la peinture : Prolégomènes à une utopie
Jérôme Thélot
- Atelier Contemporain
- 16 Février 2024
- 9782850351419
À contre-courant de notre époque, celle de la technique, de la raison calculatrice, des logiques de domination qui s'immiscent dans toutes les dimensions de la vie, époque qui trouve son origine lointaine dans le néolithique où furent inventés l'agriculture et l'élevage, Jérôme Thélot propose «de former l'utopie d'un radical recommencement».
Se souvenant de l'invention de la peinture dans le secret des cavernes du paléolithique, et de sa fonction instauratrice durant des millénaires, son projet paradoxal est motivé par une espérance obstinée, celle d'inaugurer une nouvelle époque de la peinture, que prophétisent à leur manière certaines oeuvres majeures comme celles de Giorgio Morandi ou d'Edward Hopper. Car «il vaut impérativement la peine, à l'heure catastrophique où nous sommes d'une possible disparition de la vie terrestre, de scruter à nouveaux frais la teneur de la peinture», sa teneur «en vérité, en justice et en bonté». L'époque de la peinture serait celle d'un autre paradigme éthique et politique, d'une douceur nouvelle dans notre rapport aux êtres et aux choses, qui désamorcerait les mécanismes de violence et de destruction régissant l'histoire contemporaine. -
Ce volume consacré aux « arts modestes » est une invitation à déambuler dans nos sociétés consuméristes comme s'il s'agissait d'étranges musées, où s'accumulent sans cesse, sans classement, sans hiérarchies, une infinité de choses dignes malgré tout d'attention.
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L'art, c'est la vérité absolue
Constantin Brancusi
- L'Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Avril 2024
- 9782850351495
Les propos, aphorismes, et phrases éparses du sculpteur Constantin Brancusi se trouvent pour la première fois rassemblés dans ce volume. Qui est, de ce fait, d'une importance essentielle pour la recherche en histoire de l'art, mais aussi pour quiconque souhaite approfondir la connaissance de cette oeuvre qui fut à la pointe du modernisme, dans la première moitié du XXe siècle. Le sculpteur roumain naturalisé français n'a cessé d'écrire, dans sa langue maternelle mais aussi en français, d'une plume concise et vibrante?: sur des pages de carnets, des bouts d'enveloppes, des papiers volants. Ce sont ces notes d'atelier que nous donne à lire l'édition érudite de Doïna Lemny, historienne de l'art et conservatrice au Centre Georges Pompidou. Cela s'inscrit dans le sillage d'une recherche et d'une passion de longue date, dont témoignent plusieurs ouvrages : entre autres, avec Marielle Tabart, Brancusi, L'Atelier - la collection, Paris, aux éditions du Centre Pompidou en 1997, et La Dation Brancusi - Dessins et archives, aux mêmes éditions, en 2003. Si divers «?propos?» de Constantin Brancusi avaient été publiés de son vivant, notamment dans les catalogues des deux expositions que Marcel Duchamp organisa pour son ami à la Brummer Gallery de New York en 1926 et en 1933, ses écrits se trouvent ici rassemblés pour la première fois de manière rigoureuse, et exhaustive, autant qu'il est possible de l'être. Après avoir parcouru les archives conservées dans le Fonds Brancusi à la Bibliothèque Kandinsky du Centre Georges Pompidou, Doïna Lemny a pris la décision de les reclasser selon leur contenu?: écrits autobiographiques, aphorismes, écrits sur l'art, réflexions sur la vie, historiettes, écrits divers, dont un scénario de film, écrits en roumain... C'est ce classement qui dicte les noms des différents chapitres de ce livre, dont certains reprennent des formules de l'artiste lui-même?: «?Aphorismes?», «?Essais d'autobiographie?», «?Écrits sur l'art?», «?Écrits sur la vie?», «?Écrits divers?», «?Essais littéraires?». Ainsi les Écrits sur l'art de Constantin Brancusi seront-ils une excellente initiation à son univers esthétique, éthique, voire ésotérique, alors qu'une grande exposition lui sera consacrée au Centre Georges Pompidou au printemps 2024. Sa langue maternelle étant le roumain, Constantin Brancusi n'avait certes pas la même aisance à manier le français que ses amis français Marcel Duchamp ou Henri-Pierre Roché, et cette édition est d'ailleurs fidèle à ses maladresses et à ses ratures, qui participent de la dimension incisive et sauvage de sa pensée. Mais il s'était constitué un univers philosophique cohérent et fascinant, fondé sur son expérience singulière de la vie et de la création. Comme le note Doïna Lemny dans son éclairante introduction, «?tous ceux qui ont rencontré Brancusi témoignent de leur admiration pour ses réflexions, parfois résumées sous forme d'aphorismes, sur la vie, sur l'art, sur la création, qu'il énonçait et qui prenaient une charge émotionnelle lorsqu'elles résonnaient dans l'ambiance mystérieuse de son atelier.?» Ces notes d'atelier témoignent aussi bien de considérations morales que de considérations esthétiques, notamment à propos de la forme des pyramides égyptiennes, dont l'enseignement était pour lui inépuisable?: «?Dans mon monde, il n'y a plus de lutte pour un place plus haute - la pyramide est démolie, et le champ est infini. Ici chacun est avec ce qu'il est venu : à sa place, il n'est ni plus grand, ni plus petit ; il n'a ni plus de mérite, ni plus de défaut, il est ce qu'il est, ce n'est pas lui qui s'est fait.?» Qui plus est, ces notes témoignent non seulement d'une exigeante quête personnelle, mais aussi de l'atmosphère artistique parisienne qui a vu naître le courant moderniste. L'atelier de Constantin Brancusi était un lieu de rencontre, dans les années 1920, pour Marcel Duchamp, Francis Picabia, Tristan Tzara, Erik Satie, «?qui improvisaient là de vrais débats sur l'art, la vie culturelle, la musique, Dada?», comme le rappelle Doïna Lemny. La plupart ont laissé des notes rapportant les propos du sculpteur, qui furent publiées plus tard, dans des magazines de l'époque ou des livres de souvenirs. C'est pourquoi à cette présente édition des écrits de l'artiste s'ajoutent quelques textes historiques importants, publiés de son vivant par des amis, écrivains, artistes et journalistes, qui l'ont bien connu, qui ont pu s'entretenir avec lui, et qui déjà s'étaient fait les passeurs de sa parole?: Paul Morand, Roger Vitrac, Dorothy Dudley, Irène Codréano, Marcel Mihalovici, Beatrice Wood.
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À qui pense qu'on n'a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l'oeuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique?: celui d'une «?ère nucléarisée?», d'un «?champ de ruines à l'approche d'un possible anéantissement?», d'un «?après-paysage?». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir «?dans la noirceur d'autres nuances que pure noirceur?». À l'image de la salle ovale du musée parisien de l'Orangerie où se trouvent les Nymphéas, le récit a une dimension circulaire, non-linéaire. C'est en son milieu que tout commence, alors qu'est racontée une matinée à la fondation Beyeler, dans les faubourgs de Bâle, où l'idée est venue à l'écrivain d'écrire sur le mystère des tourbillons de couleurs peints par Claude Monet. Après quoi, il se rendra au «?sanctuaire?» de l'Orangerie, où son regard finira par se perdre «?dans ce vaste dépôt hors de soi d'un fond de l'être prenant forme dans une matérialité incertaine et floue?», dans un «?gouffre lumineux?», où les repères ordinaires qui apprivoisent le temps et l'espace sont abolis... L'Adieu au paysage relate ainsi un vertige devant le «?paysage imprenable?» des Nymphéas, devant la matière rendue à son essence brumeuse, tourbillonnante, fuyante. Les Nymphéas apparaissent peu à peu à Stéphane Lambert comme la tentative, pour le peintre, d'exprimer une fluidification religieuse de son rapport au monde, sous le signe d'un élément au coeur de l'art de Claude Monet, l'eau, occupant une «?place essentielle [...] dans son oeuvre en devenir?», image même du devenir permanent. Alors, s'immergeant dans la couleur comme on s'immerge dans l'eau, le peintre renoue avec une intimité perdue, divine. «?Oui, le peintre cherchait, et cherchait encore, à traduire ce qui forgeait le monde réel, tapi dans son invisibilité. N'était-ce pas alors une idée de dieu qu'il pourchassait?? Un dieu unificateur et païen, puisqu'on disait le maître athée. Une puissance informelle qu'il voulait démasquer. Les oeuvres opérées jusqu'à ce jour, jusqu'à ce fameux cycle des nymphéas, n'avaient servi qu'à aiguiser son regard pour percer ce mystère qu'il flairait animalement devant lui.?»
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Atopiques : de Manet à Ryman
Jean Clay, Valérie Mavridorakis
- Atelier Contemporain
- Essais Sur L'art
- 4 Octobre 2024
- 9782850351440
«L'anonymat est un combat» disait Jean Clay.
Une discrétion revendiquée plane sur l'existence
et sur l'oeuvre de celui qui a fondé les prestigieuses
éditions Macula en 1980. Atopiques rassemble
ses écrits sur l'art les plus importants, parus
notamment dans les revues Robho et Macula
qu'il a fondées avec une passion érudite, au fil
des années 1960 à 1980. Des contributions des
historiens de l'art Yve-Alain Bois et Thierry Davila
en éclairent la portée théorique et historique. -
On connaît la série d'entretiens que Francis Bacon accorda à David Sylvester entre 1962 et 1986.
Après la mort de l'artiste en 1992, le critique, qui, de ses propres dires, n'avait jamais trouvé en près de cinquante ans la distance nécessaire pour consacrer à son ami une étude critique d'ampleur, sentit « s'ouvrir les vannes » : le résultat fut ce Francis Bacon à nouveau, paru en 2000, traduit en 2006 par Jean Frémon aux éditions André Dimanche, et dans lequel, en un long regard rétrospectif qui embrasse aussi des toiles crues détruites et redécouvertes de manière posthume, Sylvester éprouve et synthétise près de soixante ans d'observations.
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Peindre l'hiver : notes sur la pie de Claude Monet
Gérard Tiitus-Carmel
- Atelier Contemporain
- 7 Avril 2023
- 9782850351211
Suivre du regard la lumière déclinante d'un jour d'hiver, prêter attention aux infimes miroitements des couleurs dans l'étendue blanche, trouver les mots pour dire cette «?intuition d'un éternel présent toujours en suspens?», telle est la méthode rêveuse suivie par Gérard Titus-Carmel, pour préciser son émotion devant La Pie de Claude Monet. Contemplant La Pie du peintre de Giverny, qui fut refusée au Salon de 1869, et qui se trouve aujourd'hui au Musée d'Orsay, l'écrivain Gérard Titus-Carmel, également peintre lui-même, se laisse envelopper par son atmosphère ralentie de journée enneigée... Ce tableau devient pour lui «?une allégorie de la lenteur, une secrète entente avec ce fragment de campagne endormie, une trêve, c'est-à-dire un instant de paix à la fois intime et immense suspendu dans la marche du temps.?» Tout se passe comme si la neige tombée suspendait la course folle du monde, et que la peinture aggravait ou prolongeait encore cela. Pour dilater de cette manière notre sentiment du temps, il semble que Claude Monet ait cherché une manière de révéler ce qui est en le voilant. Selon Gérard Titus-Carmel, la présence des êtres et des choses est d'autant plus vive dans sa peinture qu'elle passe par une forme de dissimulation?: «?Le soleil, lui aussi, est tamisé de peinture : dissimulé sous le voile lourd et nacré du ciel, il est là, mais on ne le voit pas.?» Il s'agit de brouiller l'éclat de ce qui est, pour en raviver l'intensité?: «?Car il y a chez [Monet] une propension sinon avouée, en tout cas régulière, pour la brume, le brouillard, la pluie ou la neige, où il cherche à saisir toutes les variations de la lumière qui estompe les contours pour révéler nue la couleur.?» Le regard de Titus-Carmel, vagabondant au sein de l'étendue blanche, finit par se poser sur la discrète présence de l'oiseau solitaire. La pie enseigne, en silence, à aimer l'insaisissable, l'éphémère, le miracle d'un instant suspendu?: «?Elle devient signe et oracle, il n'y a qu'elle pour alerter le monde qui se terre et se tient coi dans l'attente. Et pour Monet, il s'agit de peindre cette attente dans la crainte que l'intrus ne s'envole, et de saisir le miracle de ce laps de temps où tout semble s'ajointer dans la même urgence. Car le monde est éphémère, pense le peintre, je n'ai que le temps d'en saisir la lumière ; il est avant tout espace, semble rétorquer l'oiseau, avant de s'échapper hors du tableau.?» L'écrivain libère l'oiseau du cadre, comme il libère la peinture de ses dorures, pour la rendre au sentiment de brièveté, de fugitivité, de précarité d'où elle provient.