Claro
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Dans ce livre où la folie d'écrire produit "des milliers de ronds" dans l'eau de la mémoire, l'auteur de "La Maison indigène" prolonge l'exploration à la fois poignante et ironique de ses origines d'écrivain - afin de vérifier sans doute la fameuse hypothèse de Proust : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature."
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En 1930, l'architecte Léon Claro, grand-père de l'auteur, fait bâtir, au pied de la Casbah d'Alger, une "maison indigène", à la fois hommage au style néo-mauresque et célébration du centenaire de l'Algérie française. De cette maison (qui existe toujours) ce livre est une "visite" - intime, historique, littéraire, politique - une "boîte noire" dont Claro extrait la mémoire, laquelle inclut Albert Camus, Le Corbusier, le poète Jean Sénac ou Lucchino Visconti, tous fascinés par la ville blanche ou pris dans la tourmente de la guerre d'Algérie - et chacun détenant, à sa façon, une clé de la "maison mauresque". Ce livre force donc des serrures, pousse des portes, dont une, inattendue, qui donne sur une pièce que l'auteur croyait vide : celle du père.
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Seul l'exercice de l'échec permet d'élargir le champ des possibles. Si, comme le disait Beckett, il importe d'échouer mieux, c'est sans doute parce que créer ne veut pas dire réussir, mais plutôt soutirer à l'obscurité un aveu de lumière. Au risque, consenti, d'aboutir à une impasse - c'est là non une malédiction, mais une chance. Dans cet essai personnel, Claro convoque entre autres Kafka, Pessoa, Cocteau et Hitchcock pour nous plonger dans les failles ouvertes par l'échec. Non sans humour et avec une grande sensibilité, allant jusqu'à dresser la liste de ses propres errements, il nous invite à repenser nos limites et nos fêlures, et à en considérer les bienfaits.
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Et si "La Disparition" était, par un troublant effet miroir, un traité de traduction ? Telle est l'hypothèse émise par Claro dans ce texte où il s'attache à montrer que l'absence et la perte, chez Perec, obligent ce dernier à recourir aux mêmes stratégies de déformation et de contournement auxquelles sont rompus les traducteurs. "Une seule lettre vous manque" questionne le langage, ses limites, son impossibilité à représenter le monde et à dire l'indicible. Pourtant, malgré les doutes, c'est un hymne à l'écriture qui est célébré ici.
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Tout autre chose est le premier livre de Claro aux éditions Nous. Il s'agit d'une sorte d'inventaire d'objets plus ou moins matériels, plus ou moins banals, en tout cas supposés quotidiens. Dans une langue à la fois sombre et précise, ces textes expriment l'inquiétude vis-à-vis de ces objets (couteau, coussin, ampoule, clou, caillou, clé...) qui - investis par le regard et les affects de l'observateur - s'animent d'une présence étrange, d'une sorte de vie onirique, voire cauchemardesque. Le quotidien en ressort modifié, il semble changer d'échelle, s'animer d'une puissance énigmatique et hors contrôle. Chaque texte est un mélange subtil de gravité, d'hallucination et d'humour, qui peut rappeler l'univers de Kafka. « Plutôt que d'isoler l'objet et d'en exploiter l'exacte nature, j'essaie de lui faire rendre gorge, de le machiner avec nos pulsions, de le traiter comme une chose animée, voire animale. Voir en l'objet, non pas la matière ou la forme, mais des possibles, et des impossibles ; le traiter sans ménage, le triturer, et le laisser se retourner contre nous (l'auteur, le lecteur). » [Claro]
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Claro aime tellement la littérature que la fréquenter en permanence lui aiguise les dents qu'il a souvent très dures. Dans ce recueil, il taille de beaux costards à quelques phobies françaises, aux valeurs frelatées du roman hexagonal, aux prix littéraires qu'il honnit (tant qu'il n'en a pas), aux éditeurs qui exagèrent, et nous subjugue avec sa vérité sur le Stabilo, les pseudos transparents, ses conseils pour obtenir le succès, ses remarques sur la zoophilie...
Et les gougères. Impitoyable ! -
Violent comme vent contrarié seul puisqu'à demi orphelin tenté par la discorde des pages ne confiant ses hantises qu'à ses mains curieuses de chair neuve guettant au-dehors de soi dans le blanc des regards sur le visage des proches ce qui pourrait justifier ses montées de colère invisible à mes yeux mais nécessaire à mon souci je l'ai dit : du linge de corps blanc quelques papiers et cette chose portant le nom intolérable de poésie
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Echappés de l'univers mythique du Magicien d'Oz, quelques orphelins du siècle traversent, des tranchées de 14-18 au champignon atomique d'Hiroshima, un demi-siècle de barbarie. CosmoZ, une anti-féerie pour revisiter, à l'aune d'un merveilleux qui se rêve résistance, la mortelle illusion des utopies qui, sous mille visages, nous gouvernent.
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Le 7 février 1497, le moine Savonarole fait édifier à Florence un immense bûcher, dans lequel sont jetés oeuvres d'art et accessoires frivoles ; le même jour, Josquin Des Prés compose un lamento à la mémoire du maître de chapelle Johannes Ockeghem. Là où l'un décompose, l'autre propose ; d'un côté les flammes rageuses de la destruction, de l'autre l'eau vive de la déploration.
Partant de ces deux conceptions opposées de la vanité humaine, Sous d'autres formes nous reviendrons déroule un fil, celui qui va de la reconnaissance d'un vide en nous à notre rapport ambigu face à la mort. Qu'il s'agisse des ensevelis de Pompéi, de l'enfant pétrifié de Sens, des amphithéâtres d'anatomie, des peintures de vanités flamandes, du film La Momie de Karl Freund, ou bien d'événements intimes comme la mort du père, Claro s'interroge - et interroge la poésie - sur le lien qu'entretient l'écriture avec le célèbre adage memento mori- qu'il conviendrait de traduire ainsi : n'oublie pas de mourir.
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C'est l'histoire d'un fou d'amour qui défait le monde comme d'autres le font : furieusement. A l'insu de Flaubert, certes, mais du fond de son gueuloir. Encore sous le choc de sa rupture avec une certaine Estée, le narrateur s'abandonne corps et âme à la lecture, jetant son dévolu sur Madame Bovary, un roman qui lui est familier. Le voici aspiré par Flaubert, Emma, Charles et Homais. Tomber dans Madame Bovary, c'est s'abandonner au vertige des mots, aux vices des personnages ; c'est aussi retrouver à chaque page Emma, prototype de la garce dont la désistée Estée n'est peut-être que l'un des avatars. Tour à tour puce, domino, cravache ou pied-bot, dans la peau d'Homais, dans celle d'Hippolyte, le narrateur traverse le miroir, déformant au dernier degré. Le texte l'habite et lui le hante, fantôme hurleur, démiurge délirant. Dans une prose à l'inventivité explosive, le narrateur et son roman culte s'entre-vampirisent tandis que Claro, audacieux écrivain du XXie siècle, défie sans faillir le génie flaubertien qu'il vénère.
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Frédéric Léger, correcteur pour une boîte d'édition spécialisée dans les ouvrages défendant un libéralisme sauvage, se trouve filé, puis passé à tabac, par deux types patibulaires qui veulent récupérer un jeu d'épreuves lui ayant été confié... Un vrai polar politique, égayé par un humour irrésistible, qui rappelle qu'aucun écrit n'est complètement innocent.
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Dans l'avion qui la mène à Istanbul, la jeune Pomponette Iconodoule - qui «a besoin de baiser à intervalles plus frénétiques que réguliers, même seule, même du bout des doigts» - s'interroge sur le motif de son voyage en terre orientale : si elle s'envole vers cet ailleurs, dans le dessein de s'envoyer en l'air, c'est sans aucun doute pour rejoindre son bel et incertain amant Soliman Rastaquouère, un presque Turc qui l'a marquée par ses prouesses et son silence conquérant avant de vaguement lui indiquer le Bosphore comme lieu de rendez-vous. Elle l'y retrouvera (peut-être) et s'y perdra (sans peine).
En terre ottomane, elle se laisse porter par les mirages et les tentations, les souvenirs et les promesses, les cris et les soupirs. Jamais lasse de la chair et de ses élans les plus raffinés, sensible à tout ce qui titille et bouleverse, elle confie à son inlassable sexualité le soin de lui faire découvrir et la ville et ce qui l'a conduite ici. Pendant ce temps, Soliman qui regrette son insatiable maîtresse et le mensonge qui l'a éloignée de lui, se souvient avec fébrilité des heures d'ébats et se débat dans les douleurs de l'absence d'un corps dont il aurait voulu sans fin prolonger l'exploration...
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"Comment rester immobile quand on est en feu" pourrait être un chant ou un long dialogue. Disons que c'est un espace intégralement occupé par la langue, que Claro fait disparaître tout matière narrative pour ne donner à lire une langue crue, à vif, qui incarne au sens propre la matière de deux mondes qui s'affrontent. Deux voix s'exprimant alternativement au travers de longues tirades qui façonnent brutalement la matière d'une langue politique. C'est un geste poétique qui laisse apparaître toute la densité de l'oeuvre de Claro, toute sa matière, qui évoque la difficulté de dire, d'écrire sans se départir du sentiment de domination qui accompagne tout tentative de rendre compte et la difficulté de dépasser le jeux, puisque la langue ne pourra rien, ou si peu, face à la complexité du réel.
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Caïmantoultan est un drôle d'alligator, du genre râleur mais pas méchant.Avec lui, on a toujours tort ! Aussi préfére-t-il rester seul à bouder sous son tas de feuille. Mais avoir mauvais caractère n'est pas ce qu'il y a de mieux pour se faire des amis.
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Propulsé dans le siècle du LSD et de la guerre froide après avoir mangé un morceau de «pain maudit» pendant l'été 1951 à Pont-Saint-Esprit, le jeune Antoine va découvrir un monde où l'improbable est réel et le réel improbable, et entamer un chaotique chemin de croix, qui le mènera des mirages du désert algérien aux sex-shops du Paris de l'après-1968.
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Mille milliards de milieux
Michel Denancé, Claro
- Le Bec En L'Air
- Collateral
- 12 Mars 2010
- 9782916073569
En 1972, un avion explosa en plein vol, et la seule survivante fut une hôtesse de l'air yougoslave du nom de Vesna Vulovic, qui fit une chute de dix mille mètres et s'en sortit presque indemne.
On a supposé par la suite qu'il s'agissait d'une fabulation politique pour détourner l'attention du public, mais peu importe. Avec une écriture qui explore les confins de la mémoire jusqu'à la dilater en des jeux typographiques, Claro raconte la chute de cette femme, son voyage vertical, son expérience mystérieuse entre ciel et terre. Michel Denancé lui répond à travers des photographies urbaines, réalisées en Seine-Saint-Denis, dans un décalage ludique qui stimule les imaginations.
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« On peut juger de la beauté d'un livre, à la vigueur des coups de poing qu'il vous a donnés et à la longueur de temps qu'on met ensuite à en revenir » : cette phrase de Flaubert, qui fait de la lecture une empoignade, dit assez clairement ce dont il s'agit ici : non pas simplement évoquer des livres, mais tenter d'écrire depuis leurs turbulences.
Car les livres - ceux qui « brisent la mer gelée - ne se contentent pas de nous transformer et de résonner en nous. Grâce à eux, nous quittons la langue commune pour apprendre d'instables dialectes et comprenons enfin ce que voulait dire Beckett quand il parlait d'échouer mieux. On croisera anciens et modernes, ogres et paladins, Butor et Tarkos, Claude Simon et Imre Kertész, Chevillard et Volodine, Jérôme Ferrari et André Hardellet, mais aussi Hélène Bessette, Pierre Michon, Thomas Bernhard, Ramón Sender, Jonathan Littell, etc.
Le clavier étant par ailleurs cannibale, le lecteur aura droit également à quelques exercices de dévoration, notre époque n'étant guère avare en nouvelles « têtes molles » : quelques coups de griffe, par-ci par-là, mais pas que pour rire de certains caniches littéraires : pour mieux retourner dans l'ombre des grands fauves - ainsi Faulkner, Céline et William Gass viennent-ils clore ce fiévreux diorama d'une certaine littérature contemporaine.
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Présent au sein du collectif inculte depuis sa création en 2004, Claro est tout à la fois un traducteur et éditeur renommé ainsi qu'un écrivain audacieux. Dans la droite lignée de son anthologie critique regroupée dans Le Clavier cannibale (inculte, 2009), l'auteur du très remarqué CosmoZ (Actes Sud, 2010) offre ici son premier recueil de fictions, sous les auspices de ses contemporains, de Burroughs à Artaud. En une trentaine de textes, tour à tour incantatoires, ironiques, décalés, Claro dynamite la fiction pour faire entendre d'autres voix. Qu'il s'agisse de plonger des mains dans l'acide ou d'inventer la bouche, de s'accrocher au pinceau de l'absurde pendant que Beckett enlève l'échelle, Claro pousse sans cesse l'écriture vers son point de jubilation le plus percutant. Claro est l'auteur d'une quinzaine de fictions et d'une centaine de traductions (Pynchon, Vollmann, Danielewski, Gass). Il co-dirige par ailleurs la collection Lot 49 au Cherche-Midi et tient régulièrement un blog, Le Clavier Cannibale.
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Surveillances
Cécile Portier, Carole Zalberg, Claro, Marie Cosnay, Catherine Dufour, Isabelle Garron, Bertrand Leclair
- Publie.Net
- Temps Reel
- 11 Mai 2016
- 9782371774568
Fut un temps où la sauvegarde de nos vies (sauvegarde au sens informatique qu'on lui prête aujourd'hui) était l'apanage des artistes, et notamment des écrivains. Mais, à l'heure de la surveillance de masse, des réseaux sociaux et des algorithmes invasifs, si nos vies sont suivies en temps réel, serons-nous encore capables de les écrire ? Née dans un contexte sécuritaire particulier où, de New York à Paris, sous prétexte de lutter efficacement contre le terrorisme, l'état d'urgence est devenu la norme, cette question nous concerne tous. Parce que la pratique de l'écriture se heurte tout particulièrement à ces enjeux, et dans le prolongement d'un symposium organisé en novembre 2014 dans le cadre du Festival du Film de Lisbonne sur le thème « Créateurs et surveillance », Céline Curiol et Philippe Aigrain ont invité dix écrivains contemporains à donner corps à cette question. D'Orwell à Amazon en passant par les drones espions, Noémi Lefebvre, Christian Garcin, Marie Cosnay, Céline Curiol, Claro, Carole Zalberg, Bertrand Leclair, Miracle Jones, Cécile Portier, Isabelle Garron, Catherine Dufour et Philippe Aigrain s'en remettent à la fiction et au langage pour nous ouvrir les yeux.
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Dans l'ultime cercle de l'enfer sont relégués les voleurs, les traîtres et les fraudeurs. Il semble qu'ils se soient donné rendez-vous dans Ezzelina pour achever leur propre histoire.
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Deux hommes en un
Graham Greene, Claro, William Boyd
- Flammarion
- Romans Policiers
- 16 Avril 2025
- 9782080477996
Quand Deux hommes en un paraît en 1929, Graham Greene a vingt-quatre ans et c'est son premier roman publié - le succès sera immédiat et lancera sa carrière d'écrivain. Dans cette sombre histoire de contrebandiers située au XIXe siècle apparaissent déjà les thèmes majeurs de l'oeuvre de Greene : l'inéluctable trahison, le doute religieux, les pièges de la morale, la peur et la lâcheté... Incroyablement dense, ce récit fondateur témoigne d'un auteur ayant à coeur de peindre la grandeur et la décadence de l'âme humaine.
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